Les rumeurs d’un rachat d’Intel par Qualcomm font plouf

Dans cette salle, qui a vraiment cru que Qualcomm allait pouvoir racheter son concurrent Intel ? Levez la main ?

Comment faire pour attirer les projecteurs à peu de frais, tout en enfonçant un concurrent, pour pas un rond ?

La technique est classique, il suffit d’utiliser les fameux « bruits de couloir ». Il y a quelque temps, un de ces fameux bruits est parvenu aux oreilles de Bloomberg qui s’en est immédiatement fait l’écho. Le bruit a été repris par la presse mondiale. Avec plus ou moins de tact. Un type de chez Qualcomm s’est épanché auprès d’un journaliste en disant probablement un truc du genre « On envisage de racheter Intel ». Et cela s’est transformé en « Qualcomm réfléchit à acquérir Intel » chez les plus sages et en « Qualcomm va racheter Intel » chez les plus téméraires. Chez Intel, pas de commentaires. Chez Qualcomm pas de commentaires non plus. On laisse la rumeur enfler et faire son boulot de rumeur. C’est-à-dire « contaminer les analyses ».

Et à la presse de délayer ensuite la sauce avec des articles expliquant qu’Intel devrait se laisser faire, qu’il était mort, que sa technologie appartenait au passé et que le rachat par Qualcomm aurait finalement du sens. Et autres papiers d’une hauteur de vue sur les diverses implications de ce « projet » laissant voir le dessous de pétales de pâquerettes avec une netteté impressionnante. Tout cela dans un brassage d’analyse digne d’un bistrot assez mal fréquenté et sans mémoire. Aujourd’hui, on apprend non seulement que le gouvernement US va financer Intel à hauteur de 8 milliards de dollars, mais que Qualcomm ne serait finalement plus si intéressé par ce rachat. Enfin, on n’a pas de communiqué de la part de Qualcomm, c’est juste une autre rumeur de la part d’un autre média, qui nous parvient. 

L’affaire est jugée « finalement trop compliquée ». Ah ben oui, racheter une boite de 120 000 salariés éclatée sur toute la surface du globe, qui conçoit et produit des processeurs dans différentes branches et qui est intégrée dans tous les secteurs industriels de la planète avec des milliers et des milliers de brevets, ce n’est pas aussi facile que de se payer un croissant.

Sans rentrer dans une analyse approfondie, Intel est intimement lié avec différents secteurs industriels qui ne verraient pas d’un très bon œil cette reprise. D’abord le secteur militaire US qui opposerait sans doute un veto catégorique à cette opération. Il faudrait des garanties interminables, sécuriser l’accord de bout en bout et cela prendrait au bas mot des années de tractations juste pour ce segment. L’autorité de la concurrence ne serait probablement pas non plus ravie de voir un géant de l’industrie des semi-conducteurs américain racheter un autre géant des semi-conducteurs américain. Des acteurs comme AMD, mais également les concurrents ARM de Qualcomm comme Nvidia ne se gêneraient pas pour poser un petit pied dans la porte de la salle de négociation et aller voir des juges pour l’en empêcher.

Mais surtout, surtout, pour quoi faire ? Pour quelle raison Qualcomm voudrait racheter Intel ? Les rumeurs parlaient d’un investissement de 90 milliards de dollars pour racheter Intel. Un gros chiffre qui attire évidemment l’attention. Mais au-delà de ce chiffre, quel débouché pour Qualcomm ? Si Intel appartenait à Qualcomm, qu’est-ce que cela changerait ? Précisément, pas grand-chose en réalité. Intel serait toujours obligé de faire de l’Intel, et cela, pendant des années. Parce que la marque est liée à ses partenaires industriels et se doit de continuer à produire les puces qu’elle s’est engagée à produire. Que des milliards de dollars sont déjà injectés dans le développement des futures générations de processeurs Intel et sont même déjà en chantier. Balancer tout cela à la poubelle n’est tout simplement pas possible.

J’ai lu des papiers qui annonçaient alors la vente possible de la division Foundry d’Intel qui assure ses services de gravure. Division pour le moment dépassée par des concurrents comme TSMC. Division qu’Intel a pour le moment envisagé de scinder de son groupe conception pour la rendre plus attirante pour ses concurrents, mais sans la séparer véritablement de son activité. Parce que vendre c’est bien joli, mais vendre à qui ? Et pour combien ? Quelle rentabilité dans cette décision pour le repreneur ? On dit que la technologie d’Intel serait dépassée puis, par miracle, qu’elle aurait de la valeur ? La réalité technique des unités de production d’Intel dépasse la conception qu’on se fait d’une usine classique. Ce n’est pas un fabricant de pièces détachées ou le simple assemblage de celles-ci, c’est un tout petit peu plus compliqué que cela.

Les usines 52 et 62 d’Intel en janvier de cette année, leur construction a débuté en 2021.

Et vendre dans quelles conditions ? Avec l’aval du gouvernement US ? Gouvernement qui s’inquiète à juste titre de sa souveraineté de production effectuée aujourd’hui en bonne partie à Taïwan, une région géographique compliquée où la Chine ne cache pas son appétit ? Les 8 milliards de dollars que le gouvernement propose à Intel aujourd’hui ne sont pas là pour rajouter du caviar au petit déjeuner de la direction du fondeur. C’est une injection spécifiquement voulue pour renforcer l’outil de production de puces Intel sur le sol américain. Puces indispensables pour faire tourner l’économie, l’administration et l’armée US.

Tout le monde semble oublier que ce genre d’industrie se pilote plus comme un supertanker de 450 mètres de long plutôt que comme un kart sur un parking. Que les grandes décisions prises aujourd’hui chez Intel ou Qualcomm feront bouger les choses dans 3 ou 5 ans. Les processeurs Lunar Lake, le renouveau technique d’Intel en termes de mobilité sorti cette année, a été engagé techniquement il y a plus de 5 ans. Les constructions de nouvelles usines Intel aux US mettront des années à sortir de terre. Et d’autres années avant d’être opérationnelles. Les semi-conducteurs ne sont pas une industrie de la réactivité. Intel comme AMD ou Qualcomm ne vendront jamais de processeurs « Fast Fashion »

J’imagine qu’il y a une équipe qui se marre chez Qualcomm aujourd’hui. Des communicants qui ont annoncé leur intention de racheter Intel entre la poire et le fromage lors d’un déjeuner informel quelque part près de Wall Street. Et qui ont réussi à revaloriser, pour le prix d’un bon repas, l’image de la marque auprès de leurs investisseurs. Racheter Intel serait un énorme symbole, rien que d’en caresser l’idée…

Ce n’est pas un coup d’essai chez Qualcomm qui a multiplié ce type d’annonces ces dernières années, conscient que cela mettait dans la tête de l’industrie que leur rôle était devenu très important. En 2016, Qualcomm voulait, sérieusement cette fois-ci, s’offrir NXP, En 2018 le soufflé se dégonfle. Qui n’est pas d’accord avec cette volonté ? La Chine. Étonnant non ? L’enjeu est tel que la Chine pose son veto dans cette tractation. On imagine que le rachat d’Intel aurait posé les mêmes soucis. Quand en 2022 Qualcomm rêve de racheter un ARM alors en vente, c’est le même scénario. Une levée de boucliers immédiate des concurrents, mais également des marques qui vendent des puces ARM pas forcément ravies de voir tous les œufs dans un panier qui appartiennent à un autre qu’eux. Même scénario d’ailleurs quand Nvidia veut acheter ARM, ce n’est juste pas toléré par la FTC.

Et du reste, ce petit jeu n’est pas à sens unique : quand Broadcom indique vouloir racheter Qualcomm, c’est la maison blanche qui tire la sonnette d’alarme et dit non à ces tractations. Le plus drôle, c’est peut-être ce moment où, en 2015, c’est Intel qui proposait de racheter Qualcomm pour qu’il se transforme en développeur d’architectures et qu’Intel le débarrasse de leur branche processeurs.

Ce qui m’amuse le plus c’est le manque de mémoire de ce secteur. Ces coups bas portés à l’image de concurrents dans la tourmente, assez faciles à réaliser en laissant croire qu’il serait possible de les racheter, c’est du pain béni pour tous les acteurs depuis les années 2000. Si demain, je veux faire parler de Minimachines je peux tout à fait indiquer que je vais racheter M6, il parait que c’est à vendre en plus. Toute la problématique est d’être assez crédible pour que cela influence les gens que je voudrais influencer. Quand on pèse des milliards, c’est un peu plus facile.

J’ai rencontré un grand ponte d’Intel un jour, il m’expliquait qu’il n’avait pas connu une seule année de sa carrière dans la boite sans qu’un journaliste ou un analyste explique qu’Intel était mort ou bientôt mort. C’était la période de transition entre Intel et ARM chez Apple et évidemment, malgré le fait qu’Apple ne vendait alors qu’une fraction de la production d’Intel, certains y voyaient mauvaise augure. Ce responsable soulignait qu’AMD avait connu le même genre de déboires avec une annonce toujours très prématurée de sa fin. Et du reste, lors de sa période avant la sortie de son architecture Zen, AMD semblait effectivement en état de mort clinique. En 2006, personne ne donnait très cher d’AMD, en 2007, c’est carrément une dégringolade de la marque et les essais de renouveau notamment avec les puces FX « Bulldozer » ne permettent pas de remonter la pente. En 2014, AMD est au plus mal. Tout le monde estime le concurrent d’Intel dans une situation impossible à rattraper. Tout le monde titre sur la fin d’AMD. Et pourtant, quelques trimestres plus tard apparait une architecture Zen qui avait commencé son développement en 2012, pendant les années les plus noires de la marque. Une architecture qui signe son renouveau et le succès qu’on lui connait aujourd’hui avec les puces Ryzen. Alors que les analyses portaient sur la mort de la marque entre 2012 et 2014, AMD était en train de se construire les bases de son succès d’aujourd’hui.

La morale de ce billet ? Ne croyez pas aux histoires de rachat tant que la signature n’est pas posée sur un contrat. Ne croyez pas plus aux titres racoleurs annonçant la mort ou de grands mouvements imprévus dans ce type d’industrie. Votre boulanger peut malheureusement mettre la clé sous la porte du jour au lendemain. Mais une société liée aussi bien au Pentagone qu’à la totalité des grandes marques High-Tech dans le monde ne sera jamais prise dans des bouleversements aussi rapides.


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8 commentaires sur ce sujet.
  • Alu
    27 novembre 2024 - 14 h 09 min

    Too big to fail, qui l’eu cru? :-D

    Merci pour cette analyse qui remet l’église au milieu du village. :-)

    Répondre
  • 27 novembre 2024 - 18 h 40 min

    Super billet, mais tu sous estimes les chiffres (ou tu vois qqch qui m’échappe). quand on regarde un peu le titre en bourse et les ventes, on voit quand même que le résultat net proche de 25% il y a 4ans est presque à 0 en 2023 et négatif aux trimestres 2024. Dernier trimestre désastreux.
    Vois tu une stratégie de leur part qui se dessine pour les années à venir?

    Trump en temps que conservateur va-t-il aider Intel par rapport à un AMD ? Je ne vois pas trop d’ambition dans sa campagne

    Répondre
  • 27 novembre 2024 - 19 h 11 min

    @Gaetan: Les chiffres s’expliquent assez facilement en fait. Intel a énormément injecté d’argent dans la R&D ces dernières années ainsi que dans ses FAbs. Ses derniers chiffres s’expliquent également par les frais liés aux licenciements massifs qu’il a opéré.

    Mais encore une fois, quand en 2012 Jim Keller lance le projet qui mènera à l’architecture Zen chez AMD, personne ne misait plus un kopeck sur AMD.

    Premier trimestre 2011 : revenus nets d’AMD 1.61 Md$ / Bénéfice : 510 M$
    Quatrième trimestre 2011 : revenus nets d’AMD 1.69 Md$ / Bénéfice : -177M$
    Premier trimestre 2012 : revenus nets d’AMD 1.59 Md$ / Bénéfice : -590 M$

    Au moment où AMD entamait donc son énorme changement stratégique avec Ryzen, la presse s’accordait à dire quoi :
    – Qu’AMD était mort, au bord de la banqueroute s’il ne trouvait pas un acheteur dans l’année.
    -Qu’Intel allait racheter AMD
    – Que jamais AMD ne pourrait rattraper Intel.

    Ce que j’explique avec ce billet, ce n’est pas de regarder les chiffres du moment, qui ne sont que des soubresauts dans une industrie pareille. Mais qu’il faut voir les positions de chacun à long terme. Analyser les évènements en ayant la tête dans le guidon de chiffres ne mène à rien. C’est une industrie aux process longs qui ne doit pas être regardée par l’actualité. Aujourd’hui AMD comme Intel préparent probablement d’autres révolutions. Qualcomm également au demeurant et Nvidia se tient en embuscade. Peut être que demain tout le monde aura un nouveau joker à faire valoir et tout sera rebattu. Les chiffres d’aujourd’hui, quand ton usine met 4 ans à entrer en activité. Quand la moindre nouvelle architecture demande des années de développement, ce ne sont pas de bons indicateurs.

    Répondre
  • 27 novembre 2024 - 19 h 22 min

    @Gaetan:

    Le cours de bourse d’AMD avant la sortie des Ryzen :

    Malgré les performances des puces Zen, il a encore fallu plusieurs années pour que cela se sente en termes de revenus pour AMD. Parce que comme toute industrie de ce genre, les marques n’ont pas suivi immédiatement le rythme. Les fabricants restaient frileux et en 2015, 2016, 2017 et 2018 on avait encore deux versions des machines : L’Intel Core haut de gamme (meilleures spécifications mémoire et stockage, écrans haut de gamme, fonctions avancées) une version « bas de gamme » AMD Ryzen limitée (moins de ram, moins de stockage, pas de capteurs biométriques, pas d’écrans très haute def…). Il a fallu attendre 2019 et 2020 pour que le rythme s’établisse et que les ventes d’AMD augmentent réellement.

    Au 4e trimestre 2014, AMD annonce un dividende par action négatif de presque un demi dollar. Son action est en dessous des 3$. La majorité des investisseurs ont réagi en vendant leurs titres. Ceux qui sont restés en ont pourtant bien profité. L’action est aujourd’hui à 134$ et a connu des pics à quasiment 180$.

    Bref, réagir aux chiffres du moment dans cette industrie, c’est mal la comprendre.

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  • 27 novembre 2024 - 23 h 29 min

    « mauvaise augure » -> « mauvais augure »
    Sinon je suis surpris que le gouvernement US puisse injecter de l’argent dans une boîte (même si je comprends l’intérêt stratégique que tu expliques, Pierre) – ça crée quand même une énorme distorsion de concurrence… AMD doit l’avoir mauvaise, d’autant qu’il n’est pas dit qu’on viendrait à leur secours de la sorte s’ils étaient de nouveau mal en point.
    Du coup, c’est pas « too big to fail », c’est plus « too precious to be let down »

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  • 28 novembre 2024 - 0 h 38 min

    @IvanP.: Ben le truc c’est que AMD ne fabrique pas de puces. Ils sont fabless depuis qu’ils ont revendu Globalfoundries. Intel fabrique des puces Made In USA et c’est ça qui intéresse le CHIPS act : tu as des infos ici https://en.wikipedia.org/wiki/CHIPS_and_Science_Act
    Si AMD avait toujours son unité de production qui est devenu GlobalFoundries, AMD aurait sans doute reçu des subsides en échange de la promesse de fabriquer aux US.

    Il faut voir également qu’Intel tout seul va injecter… 100 milliards de dollars sur le sol US dans ses capacités de production. Avec à la clé 10 000 salariés Intel, 20 000 emplois pour des années pour la réalisation des usines et 50 000 emplois indirects liés à ces implantations.

    C’est aussi pour cela que l’annonce de la mort d’Intel me parait un peu prématuré.

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  • 28 novembre 2024 - 9 h 03 min

    @Pierre Lecourt: Ah OK, je comprends mieux du coup. Merci de cette réponse éclairante.

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  • 28 novembre 2024 - 21 h 13 min

    @Pierre Lecourt: Merci pour ta vision éclairée Pierre. C’est vrai que sans ce background c’est difficile d’évaluer.

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