La triste – et prévisible – histoire des Xiaomi-Store

Vous avez sans doute croisé l’information, les fameux Xiaomi Store ouverts en France ont fermé. Tous, sauf un.

C’est une petite vaguelette dans le monde du commerce français mais, évidemment, c’est un gros choc pour les 40 salariés qui étaient aux commandes de ces différents Xiaomi Store. Pour avoir leur point de vue et un petit peu de contexte quant à la fermeture des boutiques, je vous invite à lire la très bonne enquête de Nicolas Lellouche sur Numerama qui revient sur l’affaire. Cela donne une petite idée du fonctionnement interne des structures et de la mélasse dans laquelle elles ont du nager depuis leur ouverture.

Xiaomi France
Une aventure à haut risque

Cela dit, l’aventure des Xiaomi Store était sans doute prévisible dès leur apparition. Le fait que les boutiques n’appartiennent pas à la marque mais fonctionnent comme des détaillants indépendants, ne leur laissait que peu de chance de survie à long terme.

Malgré un appui assez fort au lancement de la part du constructeur qui n’a pas lésiné sur les moyens pour pousser en avant ces nouveaux magasins, le fonctionnement de ces boutiques n’était pas différent d’une autre entité totalement indépendante du constructeur. Il était même moins aisé. Ce n’était pas Xiaomi qui tenait ces enseignes mais une marque totalement indépendante. D’abord la société iHealth Labs puis, pour la grande majorité des magasins, une seconde structure créée sur mesures baptisée Tell Me. Il ne s’agissait pas d’une franchise et Xiaomi n’avait pas injecté d’argent dans son capital. Cela veut dire qu’un Xiaomi Store achetait son matériel à Xiaomi au même titre qu’un Darty, un Boulanger ou un LDLC. Avec, peut être, des prix moins intéressants qu’un concurrent parce que la structure avait évidemment un volume plus faible en terme de ventes. Pire, les produits avaient une obligation de revente au prix catalogue et ne pouvaient pas suivre d’éventuelles promotions.

C’est un premier souci qui se conjugue avec beaucoup d’autres. Par exemple, les boutiques étaient pour certaines d’entre elles implantées dans des quartiers assez prestigieux. Quand les revendeurs concurrents s’orientent vers des zones plus excentrées des villes, ce n’est pas par plaisir et goût pour les Zones Commerciales. Ils vont logiquement là où les loyers sont bien plus faibles. La boutique du boulevard de Sébastopol, par exemple, est sur un emplacement haut de gamme d’un lieu très touristique et en plein passage de la capitale. L’autre boutique des Champs Elysée, toujours ouverte celle-ci, est également sur un lieu emblématique. Si on regarde le déploiement des enseignes comme Boulanger, Darty, La Fnac ou LDLC, mis à part les magasins « historiques », leurs implantations sont toutes orientées géographiquement vers des zones beaucoup plus accessibles en terme de location ou d’achat. Des zones commerciales où les enseignes se regroupent, proposent des synergies entre elles et peuvent profiter de tarifs bien plus intéressants pour leur développement.

Xiaomi France

Un catalogue limité… à une seule marque

Autre souci majeur, la limitation du catalogue. Xiaomi fait certes beaucoup de produits et on ne s’attend pas à trouver un objet d’une autre marque dans un magasin de l’enseigne, mais cela pose de gros soucis de rentabilité pour une boutique. Mixer les marques permet aux enseignes classiques de jouer sur les tarifs, de faire vivre la concurrence et de proposer des opérations spéciales d’un moment à l’autre. Quand la marque X veut mettre en avant son dernier téléphone portable, elle va monter une offre marketing intéressante. Puis ce sera au tour d’un concurrent, puis d’un autre. Cela permet d’avoir des promotions intéressantes pour les clients comme pour le magasin. D’attirer du monde et de faire vivre le lieu autrement que comme une « boutique souvenir ». 

Ce que j’entend par « boutique souvenir » est ce type de magasin que l’on visite par curiosité mais dans lequel on n’achète rien, ou pas grand chose. Un souvenir de passage. Ca tombe bien, les Xiaomi Store proposaient des gadgets pas chers, des stylos et autres produits estampillés à la limite de la carte postale. Des trucs sympas mais clairement pas de quoi faire vivre ces lieux sur leurs emplacements. Du reste le fait que la boutique des Champs Elysées persiste, au détriment probable de toute rentabilité, est assez symptomatique du phénomène. La société responsable de cette boutique, iHealth, s’en sert comme faire valoir mais probablement pas comme source de revenus. Comme beaucoup d’autres « Store » de cette avenue, l’enseigne est là pour le prestige et non pas pour d’éventuels bénéfices.

Xiaomi France

mais à une énorme concurrence

Ces magasins se frottaient à un autre problème épineux. Celui de la concurrence féroce menée par le marché français. Xiaomi est une marque phare, avec des produits intéressants et une politique tarifaire souvent assez aggressive. Une politique menée par le constructeur lui même mais également par l’ensemble de ses partenaires. Il n’est pas rare de voir des promotions chez tel ou tel revendeur sur un smartphone ou sur une tablette de la marque. De voir ses casques audio ou ses autres produits à des tarifs sacrifiés. Xiaomi est une véritable locomotive pour ses ventes. Assurer une promo régulière de ses produits est une excellente solution pour attirer des clients dans son échoppe, physique ou virtuelle. Ce qui pose un souci assez clair à une boutique qui ne vit que des produits d’une seule marque.

Xiaomi en France

En farfouillant 5 minutes sur le web, on trouve souvent une promotion sur leurs produits phares. Les boutiques en ligne peuvent se permettre de raboter au maximum leurs marges sur des produits pour se rattraper sur d’autres. Un jeu que le statut de structure en dur des Xiaomi Store obligeait à oublier quoi qu’il arrive. Les produits vendus devaient suivre le catalogue des prix publics et ne pas en décrocher. Là où des Amazon, CDiscount ou autres jouent avec des prix barrés et une visibilité immense en ligne. Les boutiques se battaient avec une visibilité ultra locale et des prix publics.

Xiaomi France

Les Xiaomi Store se battaient en plus non seulement contre les revendeurs français mais également contre les revendeurs internationaux ! Et souvent même avec la boutique en ligne de Xiaomi qui proposait des réductions conséquentes introuvables en magasin. Comment espérer survivre dans ces conditions ? Qui n’aura pas la tentation de vérifier le prix d’un produit en ligne une fois en magasin ? Qui accepterait de payer le prix public en boutique quand il est possible de récupérer 10, 20, 30 et jusqu’à 50% de rabais  en commandant en ligne ? Les grandes enseignes nationales comme Boulanger ou Darty peuvent bénéficier d’un traitement de faveur de la part de leurs clients, qui comptent sur leur chaine de magasins en cas de soucis ou de SAV. Mais avec une poignée de boutiques seulement, les Xiaomi Store ne pouvaient pas prétendre à ce genre d’excuse pour justifier leurs tarifs.

Si Xiaomi a utilisé l’apparition des boutiques à des fins d’image pour montrer au public français leur « investissement » dans le commerce local. Elle n’a jamais cherché à en faire un véritable relais commercial. En Chine, les sorties de produits sont régulièrement suivies d’exclusivités dans les Store. Des financements participatifs passent par des inscriptions physiques et certaines sorties sont limitées à une avant première où quelques centaines de pièces sont distribuées dans chaque boutique. On retrouve également des présentations de nouveautés, des opérations commerciales de grande ampleur qui font vivre les lieux, des réservations à des dates spécifiques. Des foules immenses se pressent devant les magasins suivant les sorties et on imagine que cela a des retombées importantes sur les ventes. Le chauvinisme local enfin, la renommée de Xiaomi auprès de sa clientèle Chinoise, participe également beaucoup au succès du groupe. Ces éléments n’existent pas de la même manière en France. Xiaomi a tenté quelques opérations avec les boutiques françaises mais sans le même impact que les versions originales. Il faut dire que les Xiaomi Store Chinois sont des filiales du constructeur. Et que leurs ventes sont pharamineuses. 

Xiaomi France

Les Xiaomi Store ne pouvaient probablement pas atteindre la rentabilité

Une chose me marque dans l’amertume des salariés du prestataire qui exploitait le nom de la marque Xiaomi Store, leur espoir d’être secouru par la « maison mère » Chinoise. Encore une fois, en n’étant ni franchisé ni une structure du groupe à part entière il n’y a aucune raison que la société Xiaomi elle même investisse pour aider au sauvetage des magasins. Je ne sais pas comment cela a t-il pu naitre dans l’esprit des salariés ou plutôt j’aimerais bien savoir ce qu’on a tenté de leur faire croire. Mais il est absolument logique que la marque refuse de mettre un euro dans des boutiques ne lui appartenant en rien mais dont elle ne cède que les droits d’exploitation du nom. Quand la société Tell Me, qui reprend les boutiques après iHealth, est en difficulté, le seul lien particulier qu’elle a avec Xiaomi est, il me semble, un contrat d’exploitation de la marque.

Le papier de Numerama évoque des reproches de livraison, de SAV ou de remboursement des matériels. Ce sont des problèmes classiques, que toutes les boutiques rencontrent avec toutes les marques. Et que toutes les boutiques doivent gérer au quotidien.

Xiaomi France

Un vrai problème de rentabilité

Que conclure si ce n’est  que la rentabilité cherchée par les partenaires de Xiaomi pour ces boutiques était, à mon avis, purement et simplement impossible. J’évoquais dès l’ouverture du premier magasin en 2018 l’impossible rentabilité de cette offre. Evoquant pèle mêle le nombre de salariés au M², le quartier et les prix pratiqués par la marque. 

Si le constructeur a accepté ce partenariat, c’est parce que cela servait ses intérêts de marque en assurant au public français un ancrage en « dur » dans le paysage. Pour le distributeur iHealth, il y avait l’avantage concurrentiel de profiter de l’image d’une marque ayant le vent en poupe. L’un comme l’autre ayant intérêt à jouer sur le côté « Xiaomi » de l’opération. Le géant chinois laissant entendre que la marque investissait. Le partenaire français qu’il s’agissait d’une antenne directe et non pas un simple contrat comme en bénéficiaient déjà tous ses concurrents.

Au final, l’affaire est assez classique, la  rentabilité ne pouvant pas être atteinte pour les multiples raison évoquées, la concurrence étant trop féroce sur des produits identiques, les boutiques n’ont fait qu’accumuler des pertes. C’est finalement assez mal connaitre le public français que de penser possible une telle opération. Au vu des conditions imposées par le contrat passé qui oblige à vendre au prix public la majorité des produits quand le site en ligne de la marque se permet des rabais importants, il n’y a aucune possibilité de survie. Et si on met bout à bout toutes les autres problématiques, de loyers et de visibilité notamment, c’est un défi qu’il était absolument impossible à surmonter.

Xiaomi en France : Quels matériels et quelle distribution ?


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15 commentaires sur ce sujet.
  • 1 septembre 2022 - 18 h 12 min

    Triste. Moi non plus, comme toi, j’ai jamais compris non plus leur stratégie. Ils ont voulu faire un genre erzat moins cher d’Apple store, en faisant prendre les risques à d’autres… mais on achète pas un xiaomi pour les mêmes raisons, en tout cas pas le marcher français. Quelques Euros en plus ou en moins, les clients apples y sont moins sensibles. On achete xiaomi pour un rapport qualité prix, là on est sensible même aux minis réductions de prix trouvables en ligne.
    Vraiment triste pour les employés qui se retrouvent dans la mouise. Courage à eux.

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  • Xo7
    1 septembre 2022 - 20 h 13 min

    Effectivement je n’ai pas compris leur stratégie, plus cher que le web, avec en plus un trajet A/R a assumer pour ne disposer à l’arrivée qu’un simple show room pour une grande partie des produits….

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  • 1 septembre 2022 - 20 h 26 min

    On aurait du faire des AliExpressStore où on pourrait récupérer nos commandes venant de Chine et trouver certains produits commandés en masse directement sur place.

    Il serait en dehors des villes style entrepôt.

    Ils auraient pu à partir des stores Xiaomi, proposer des abonnements de surveillance en achetant un Gateway Xiaomi et tous ses accessoires, des locations pour trottinette ou vélo (pourquoi pas un LOA).

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  • 1 septembre 2022 - 22 h 26 min

    Hello,

    Petite coquine : orientées géographiquement vers des zones beaucoup MOINS PLUS accessibles en terme de location

    Bonne reprise.

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  • 2 septembre 2022 - 8 h 13 min
  • 2 septembre 2022 - 8 h 25 min

    autre coquine : encrage/ancrage

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  • 2 septembre 2022 - 8 h 46 min

    Ils ont voulu se la jouer Apple Store, mais sans l’image de marque et les marges maousse que cela permet. Comme toujours, les employés sont en effet les dindons de la farce et les chinois ont une trop longue histoire commerciale pour avoir fait les erreurs citées de manière directe.

    On n’est ici à mon sens même pas dans le cadre boutique souvenir, les produits technologiques ne s’y prêtant d’ailleurs guère: Certaines vivent très bien et assurent un confortable complément à la billetterie de monuments depuis des décennies… dès lors qu’elles ne proposent pas un achalandage de bibelots du niveau d’une mini tout Eiffel made-in-china qu’un vendeur à la sauvette vous avait proposé au quart du prix affiché avant d’entrer. J’aimerais connaître le CA/m2 de celle du château de Villandry par exemple!

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  • s@s
    2 septembre 2022 - 11 h 35 min

    Si Xiaomi voulait obtenir de la visibilité par des boutiques, il aurait fallu investir en propre (comme en Chine). Là finalement presque tous les magasins disparaissent…est-ce vraiment un problème pour Xiaomi je ne pense pas tant que les boutiques en ligne font le taf.

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  • 2 septembre 2022 - 11 h 50 min

    Pour avoir fréquenté la boutique Sébastopol il y a quelques années quand je cherchais un nouveau téléphone ce qui m’avait frappé c’était bien sur l’imitation des codes apple… et aussi le fait que coté vendeur c’était un peu plus brouillon. Bref il y n’avait pour moi qu’une partie de la recette.

    Au final pas de smartphone mais plus tard un aspirateur sans fil chez eux. Par contre quand je suis revenu pour acheter leur barre lumineuse a mettre au dessus de l’écran là ils ne l’avaient pas (et d’ailleurs le magasin faisait navire abandonné), idem sur le site xiaomi france. Donc obligé de passer par amazon… en me posant la question à quoi sert une boutique flagship qui n’a pas tout le catalogue, normalement ce sont ces boutiques là qui ont le plus de produits (en terme de références, en terme de quantités).

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  • 2 septembre 2022 - 13 h 48 min

    @s@s: C’est pas du tout un problème pour eux non. Le relais est fait et la marque est désormais totalement implantée dans les esprits.

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  • 2 septembre 2022 - 13 h 59 min

    @Vincent: Petite coquille dans ta correction aussi, du coup :)

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  • 2 septembre 2022 - 18 h 58 min

    Pour moi il y a deux raisons qui ont coulé les Store Xiaomi. La première mise en évidence ici est le prix des produits que les stores étaient tenu de faire sur la marchandise, sans promo alors qu’il est très fréquent sur internet d’avoir de nombreuses réductions sur les produits de la marque (comme décrit aussi bien sur des boutiques en ligne ou sur la boutique officiel mais encore en passant commande directement en chine).
    Autre soucis concernant la marque Xiaomi, là ou autrefois o trouvait parmis le catalogue de super prix pour des flagship, aujourd’hui le positionnement de la marque est tiut autre, il n’est pas rare de voir a leur catalogue des téléphones au delà des 700/800€ (ce qui n’est clairement pa leur coeur de marché et même si cela devait l’être la disponibilité des hauts de gammes est assez ….. restrinte….
    De plus dans le milieu des objets connectés là aussi xiaomi se fait du mak tout seul, les produits arrivent au compte goute sur notre marché et il n’est pzs rare d’attendre 6mois à un an avant que les ampoules ou autres capteurs nous arrivent. Sans oublier là zussi une marge de profit extremement élevée. La ou un produit se trouvait encore en dessous des 10€ sur le mzrché chinois, le même produit vendu en boutique ifficiel n’zvzit pzs peur de friser les 15€…..
    Bref un positionnement stratégique qui à évolué zu fil des années et qui ne pouvait financer la structure des magasins physique si l’on ne leur permet pas de suivre les prix du mzrché…..

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  • 3 septembre 2022 - 12 h 06 min

    @Caillou: coquin va lol

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  • 10 septembre 2022 - 8 h 33 min

    Bonjour,

    Comment des gens qui ont fait des études de commerces, dont c’est le métier de bâtir des sociétés, de faire des études de marchés peuvent-ils partir sur des modèles économiques basés sur du sable ? Je trouve cela hallucinant.
    Qu’une boite n’arrive plus à suivre certaines évolutions, c’est hélas aussi la vie économique, mais là !

    Et derrière des salariés qui ont du tout donner pour lancer leurs magasins et se retrouvent à la rue comme des chiens, bonjour les dégâts psychologiques entre autre.
    Bon courage à eux.

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  • 10 septembre 2022 - 10 h 46 min

    @Tofeur:

    Mais les dirigeants et créateurs du concept n’ont sans doute rien perdus dans cette déroute et même sans doute étaient ils très bien rémunérés tant que ça a tenu.

    Chez certains « créateurs » d’entreprise ce n’est pas la pérennité qui est visée, mais la vente ou l »épuisement des financements des actionnaires à très cours terme et leur enrichissement rapide.

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