Alibaba divisé en 6 activités distinctes par le gouvernement Chinois

La Chine n’apprécie plus la puissance acquise par le géant du commerce Alibaba, pour éviter tout débordement, elle taille dans le vif.

Après un long moment sans donner de nouvelles et sans apparition publique, l’ancien PDG d’Alibaba.com est reparu cette semaine en Chine continentale. Jack Ma, étrange et charismatique personnage, avait déjà indiqué vouloir se mettre en retrait de la vie publique. En 2020, il avait critiqué le gouvernement Chinois et sa politique, ce qui lui avait valu quelques déboires personnels. 

Déboulonné de sa place de PDG tout puissant du groupe, il avait depuis disparu des écrans radars et des conférences qu’il donnait partout sur la planète. Sa réapparition cette semaine, qui coïncide avec l’annonce d’Alibaba de procéder à sa division en six entités distinctes, n’est évidemment pas anodine.

Jack Ma ex PDG du Groupe Alibaba

Alibaba.com est un monstre  tentaculaire. Il est présent partout sur la planète avec plusieurs éléments clés particulièrement implantés en Chine. Alibaba.com est devenu une plateforme de commerce professionnel où l’on peut tout acheter. Du moteur d’avion au tracteur en passant par des millions de roulements à bille ou des équipements industriels de pointe. C’est une plateforme internationale où des millions de biens sont échangés chaque jour. AliExpress est sa version grand public. Un système de vente qui a conquis la terre entière en permettant à des milliers d’entreprises de proposer en direct leur production.

Si ces deux entités sont connues même par le grand public, Alibaba.com c’est aussi d’autres services majeurs de vente en ligne en Chine. TaoBao et Tmall pour commencer. Le premier est un site plus localisé sur le marché Chinois. Un monstre qui liste plus d’un milliard d’articles en vente via sa place de marché. Tmall est une autre facette de la même idée puisqu’il s’agit encore d’un site de eCommerce mais qui s’étend sur une plus large région géographique : De la Chine continentale à Taiwan en passant par Hong-Kong. 

Les serveurs de la marque sont également orange…

Le site AliExpress, l’élément eCommerce du groupe que l’on connait en Europe, n’est donc que la partie émergée d’un premier iceberg. La marque en compte bien d’autres. Et c’est pour lutter contre ce gigantisme que le gouvernement Chinois vient d’imposer une scission en six groupes distincts et indépendants les un des autres. 

  • Le Global Digital Commerce Group reprendra les activités AliExpress et celles d’Alibaba.com. Cela restera l’élément de gestion du eCommerce à l’international.
  • Le TaoBao Tmall Commerce Group pour la partie eCommerce orientée vers l’Asie qui restera un élément totalement géré par alibaba.com.
  • Le Cloud Intelligence Group qui gérera probablement l’hébergement et le Cloud de l’ensemble du groupe mais de manière indépendante. Cette partie là est importante car elle gère énormément de services et de fonctions vitales de la société. C’est elle qui développe des SoC maison exploités jusqu’alors par Alibaba.com.
  • Cainiao Smart Logistics sera une autre entité vitale de l’ensemble puisque c’est elle qui va prendre en charge la partie en dur des établissement commerciaux : le transport, le stockage, la gestion de ces flux de produits monstrueux qui sont générés par l’ensemble de l’activité.
  • Le Digital Media and Entertaimnent Group qui assurera une activité de gestion de média et de création de contenu de divertissement. Une activité surtout centrée sur la Chine continentale.
  • Enfin le Local Services Group, également très lié au territoire puisqu’il s’agit de livraisons directes et de services à la demande mis à disposition du public Chinois.

AliPay n’est jamais cité dans l’ensemble du nouveau dispositif, ce moyen de paiement très populaire en Asie et massivement employé sur les sites du groupe devrait logiquement tomber dans l’escarcelle de la partie eCommerce mais pourrait également déboucher vers la création d’une solution Bancaire. Solution qui a pour le moment été freinée par le gouvernement Chinois.

Il semble évident que si ces groupes seront séparés en différentes entités juridiquement indépendantes, leur proximité restera très forte. La partie logistique ne peut pas survivre sans les sites de eCommerce pour laquelle elle a été dimensionnée. Le service Cloud  a été bâti sur mesures pour gérer les activités du groupe et on imagine mal une transition vers d’autres concurrents. La volonté de ce changement n’est pas de tuer l’ensemble mais de le faire… dégonfler.

Si une de ces entités facture à une autre, si il demande à être autonome, il sera forcé d’être rentable et donc de fonctionner dans une concurrence peut être moins faussée qu’actuellement. La partie Cloud pouvait, avec un client comme Alibaba.com, totalement casser les prix de son véritable coût face aux concurrents. En étant indépendant économiquement, il ne sera plus possible pour l’entité de bénéficier de tarifs dérisoires  sur  certains secteurs. Alors que les concurrents seront toujours obligés de payer leurs factures. Les coûts logistiques et d’hébergement par exemple ne pourront plus être rattrapés par une autre branche du groupe. C’est une sorte de travail inversé des situations de regroupement et de concentration que nous avons connus en Europe et aux Etats-Unis ces dernières décennies. Au lieu de créer des sociétés de plus en plus monstrueuses, des mastodontes de plus en plus puissants, la Chine cherche à leur redonner une envergure plus « raisonnable ». 

Dans cette vidéo d’il y a un an seulement, on comprend bien la volonté du groupe de venir concurrencer le géant Amazon à l’international.

C’est également un bon moyen de transformer l’image du groupe qui a pâti très largement de la guerre commerciale entre la Chine et les états unis. Alibaba est côté en bourse aux US, à Wall Street, et depuis deux ans, son cours a perdu les deux tiers de sa valeur. Comme beaucoup d’autres grosses sociétés Chinoises. Ce qui sape la réussite politique du programme voulu par le président Chinois Xi Jinping. En scindant l’entreprise en de plus petites entités, la donne économique change. D’un cerbère à plusieurs têtes avec un corps unique on passe à un réseau interdépendant. Une évolution qui peut gommer la peur provoquée par la voracité d’Alibaba ces dernières années. Et rouvrir les portes de certains marchés.

Difficile cependant de voir pourquoi ce choix est fait, tant cela parait contraire à nos pratiques. J’ai donc interrogé deux contacts locaux à ce propos et leurs témoignages sont très intéressants. Chacun y voit un intérêt assez logique. Les deux savent bien d’abord que la popularité de Jack Ma, ex CEO de Alibaba.com, ne plaisait pas au gouvernement Chinois. L’idée de base de ce changement est donc probablement lié également à une volonté de ne plus le laisser gagner en visibilité. De ce côté là, cela semble déjà gagné.

Mais, plus prosaïquement, mes contacts m’expliquent en quoi ils voient un intérêt dans ces changements et c’est assez amusant par rapport au discours ambiant en France ou dans l’Union Européenne.

Réduire l’ombre du géant Alibaba

Diminuer la carrure d’Alibaba, même si le groupe restera monstrueux, c’est augmenter la possibilité pour ses concurrents de grossir. Le problème de ce groupe est qu’il a une tendance à étouffer ses concurrents. En fonctionnant comme une énorme place de marché, il empêche d’autres entités de s’épanouir tout en conservant une efficacité redoutable. Comment proposer une logistique digne de ce nom avec un concurrent de ce type ? Comment être concurrentiel en stockage dans les nuages ? Qui va vous faire confiance pour vendre des produits en place de marché avec un nouveau site alors que tout le monde connait déjà Alibaba et ses antennes ?

Il est vrai qu’aujourd’hui en France, et presque partout dans le monde, si on veut devenir  un acteur important du commerce électronique, on doit se frotter à un monstre qui s’appelle Amazon. Et ce n’est pas chose aisée de venir contrer ce concurrent. Un industriel qui fabrique et vend ses produits sur ses serveurs avec sa logistique et ses services… Une marque qui fait quasiment la pluie et le beau temps chez les politiques de tous bords en indiquant vouloir installer un entrepôt qui créera des emplois ou le retirer en détruisant ceux-ci suivant qu’il souffle le chaud ou le froid. Une sorte d’Alibaba à sa manière donc. Quand on gère tous les maillons de la chaine, avec la possibilité de ne pas en comptabiliser certains ou de les absorber dans son bilan, on peut littéralement étouffer la concurrence. Chose que ne veut plus le gouvernement Chinois.

Cette redoutable efficacité du groupe qui passe par une excellente gestion interne signifie également une diminution importante du nombre d’emplois nécessaires pour faire fonctionner l’ensemble. On m’explique clairement qu’en séparant les entités les unes des autres, le groupe devrait multiplier les emplois internes dans chaque groupe. Chez nous, on cherche justement le contraire avec une consolidation des services après chaque acquisition, le gouvernement Chinois semble préférer les multiplier. C’est du moins ce qui est rapporté. Parce que, de mon côté, je peux lire qu’entre 2020 et 2022 le nombre d’employés du groupe est passé de 117 600 à 254 940… Ce qui est assez respectable.

En 2019, le groupe Alibaba avait enregistré 38 milliards de dollars US de CA pour la journée du 11.11

La puissance politique du groupe est également largement critiquée. Quand un monstre comme Alibaba génère autant de devises, gère une telle part de l’économie du pays et assume autant d’emplois… Cela offre à ses gestionnaires un pouvoir dont ne veut plus le gouvernement Chinois. Les représentants locaux ont tendance à accepter toutes les requêtes du groupe. Son implantation dans une région, son poids sur le tissu industriel global à l’import comme à l’export en font un acteur avec qui on ne veut pas se fâcher. Très clairement on m’explique qu’en scindant ces entités en groupes séparés, même si ils travaillent toujours ensemble, le poids de l’ensemble ne sera plus le même politiquement. Si certains pays décorent leurs capitaines d’industrie, en Chine on a tendance à leur rappeler une certaine humilité m’explique t-on. « C’est la politique locale ».

La conclusion est assez simple, les choses ne devraient pas vraiment changer pour Alibaba, certains des éléments décidés sont des soupapes de sécurité. Financière, pour caresser le gouvernement Biden dans le sens du poil. Ou politique pour que Pékin soit satisfait. Pour le client lambda, la donne ne changera probablement pas.


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11 commentaires sur ce sujet.
  • 1 avril 2023 - 9 h 26 min

    « Parce que de mon côté je peux lire qu’entre 2020 et 2022 le nombre d’employés du groupe est passé de 117 600 à 254 940… Ce qui est assez respectable. »

    Sans doute. Mais ne faudrait-il pas comparer cette évolution à celle du chiffre d’affaires et à celle du bénéfice ?

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  • 1 avril 2023 - 9 h 30 min

    Washington avait des « problèmes » avec Alibaba ? j’étais au courant des problématiques avec les constructeurs électroniques, mais les distributeurs ?
    De même, ça a toujours été une stratégie classique de financer des activités déficitaires avec ce les rentables pour différents objectifs (AWS vache à lait d’Amazon, les raffineries françaises de Total pour avoir un poids politique, l’électrique poids pendant 5 ans sur les budgets des constructeurs automobiles occidentaux.. )

    j’ai l’impression que c’est surtout une reprise en main par Pékin.

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  • 1 avril 2023 - 13 h 33 min

    un poisson d avril avec ou sans IA ?

    Répondre
  • 1 avril 2023 - 13 h 45 min

    @psytgc: sauf à ce que tu te sois trompé d’articles, c’est confirmé ailleurs dans la presse.

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  • 1 avril 2023 - 14 h 53 min

    Je trouve assez étrange que cet article passe totalement sous silence l’aspect politique, car la seule raison à cette division d’Alibaba c’est l’influence de Jack Ma, contre-pouvoir ne serait-ce qu’économique, qui est intolérable aux yeux de Xi Jinping.

    « Après un long moment sans donner de nouvelles et sans apparition publique, l’ancien PDG d’Alibaba.com est reparu cette semaine en Chine continentale. Jack Ma, étrange et charismatique personnage, avait déjà indiqué vouloir se mettre en retrait de la vie publique. En 2020, il avait critiqué le gouvernement Chinois et sa politique, ce qui lui avait valu quelques déboires personnels.  »

    Drôle de façon de présenter un vraisemblable emprisonnement à domicile, comme d’autres pdgs ou acteurs chinois avant lui.

    Répondre
  • 1 avril 2023 - 17 h 23 min

    @Voljega: « Les deux savent bien d’abord que la popularité de Jack Ma, ex CEO de Alibaba.com, ne plaisait pas au gouvernement Chinois. L’idée de base de ce changement est donc probablement lié également à une volonté de ne plus le laisser gagner en visibilité. De ce côté là, cela semble déjà gagné. »

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  • 1 avril 2023 - 17 h 27 min

    @Voljega: « La puissance politique du groupe est également largement critiquée. Quand un monstre comme Alibaba génère autant de devises, gère une telle part de l’économie du pays et assume autant d’emplois… Cela offre à ses gestionnaires un pouvoir dont ne veut plus le gouvernement Chinois. Les représentants locaux ont tendance à accepter toutes les requêtes du groupe. Son implantation dans une région, son poids sur le tissu industriel global à l’import comme à l’export en font un acteur avec qui on ne veut pas se fâcher. Très clairement on m’explique qu’en scindant ces entités en groupes séparés, même si ils travaillent toujours ensemble, le poids de l’ensemble ne sera plus le même politiquement. Si certains pays décorent leurs capitaines d’industrie, en Chine on a tendance à leur rappeler une certaine humilité m’explique t-on. « C’est la politique locale ». »

    Il me semble avoir fait le travail. Maintenant je n’ai aucune preuve pour signer en mon nom un article disant que le gouvernement chinois a emprisonné quelqu’un. Et si j’en avais, je doute que je publierais quoi que ce soit car ce n’est pas le rôle de ce blog. Je transmettrais probablement les infos à un média plus politique.

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  • 1 avril 2023 - 17 h 35 min

    pas de quoi fouetter un chat…. on peut voir ca comme lorsqu’une entreprise est interdite d’acheter une autre… c’est justement fait pour éviter les monopoles qu’on a vu par exemple au usa ou c’était le gouvernement vs microsoft…

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  • 2 avril 2023 - 5 h 55 min

    Intéressant. Difficile de blamer le gouvernement chinois quand on voit la puissance des GAFAM (+Musk).

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  • 2 avril 2023 - 13 h 48 min

    @Clems : « De même, ça a toujours été une stratégie classique de financer des activités déficitaires avec ce les rentables pour différents objectifs (AWS vache à lait d’Amazon, les raffineries françaises de Total pour avoir un poids politique, l’électrique poids pendant 5 ans sur les budgets des constructeurs automobiles occidentaux.. ) »

    Justement, c’est pourquoi la plupart des économies, même celles qui se prétendent les plus libérales, se dotent de lois anti-trust. Ou bien comme dans le cas de la Chine, le gouvernement vient faire le travail d’une loi anti-trust.

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  • 9 avril 2023 - 20 h 12 min

    Une pépite comme l’hôte de ces lieux sait nous en concocter à l’occasion.

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