ARM doit-il faire le ménage chez ses partenaires ?

Appellations douteuses, absence de spécifications chez les fabricants, commercialisation sauvage et parfois même entretien consciencieux de mauvaises informations. Tout n’est pas rose dans le petit monde des processeurs ARM et certains profitent clairement du chaos de cette situation pour vendre plus facilement leurs produits. Petit retour sur le monde des licences ARM et de ses acteurs plus ou moins bien intentionnés.

Avec quelques fabricants seulement, la galaxie des processeurs x86 qui occupent nos PC a toujours été relativement facile à suivre. AMD, Cyrix, VIA et Intel ont été les principaux fournisseurs de ces processeurs depuis toujours. Il y en a eu quelques autres, plus ou moins importants, mais ils ont tous été étroitement surveillés par Intel. Le gardien du code source x86 et véritable régulateur du marché sur ce type de puce.

Cela n’a pas empêché certains de tricher dès qu’ils en ont eu l’occasion. A l’époque où il suffisait de quelques bidouilles assez faciles à réaliser pour transformer une puce en une autre, lorsqu’il a été possible de modifier coefficients et multiplicateurs de fréquences, des organismes mafieux ont su saisir les failles et mettre sur le marché des processeurs contrefaits. Intel et ses partenaires ont immédiatement réagit et corrigé le tir, pour préserver leur image et protéger leurs clients.

Chez ARM la politique vis à vis des marques et des appellations de leurs puces, de la façon de communiquer sur celles-ci, semble très différente. La marque qui développe l’architecture du même nom compte une liste beaucoup plus longue de clients. Et il semblerait que la surveillance des produits que ces derniers proposent sur le marché ne soit pas franchement au centre de ses préoccupations.

 inside

Savez vous exactement ce qu’il y a dans votre tablette ?

ARM conçoit une architecture de processeur,  la dépose, et vend ensuite des licences à ses clients. Ils peuvent alors exploiter, modifier et fabriquer les puces de leur choix sans que la société intervienne dans ce processus. Chaque architecture est vendue comme une licence d’exploitation, les plus récentes et performantes sont les plus chères. Les plus anciennes sont plus accessibles. Ainsi la dernière en date, l’ARM Cortex-A15, va d’abord apparaître chez certains licenciés de renom comme Qualcomm, Nvidia, ou Samsung. De grands noms dans le domaine qui travaillent tous sur des concepts différents. Les plus anciennes générations de processeurs, comme le Cortex-A8, sont par contre développées au sein de nombreuses, très nombreuses marques. Cela s’explique par beaucoup de facteurs et notamment les ressources nécessaires pour graver ces processeurs : Entre une puce gravée en 45 nanos et une en 28 nanos, il y a une énorme différence de coût.

Entre ces 2 processeurs, les Cortex-A9 tiennent le gros du marché. Ce sont les processeurs ARM les plus répandus, les plus connus et désormais les plus facilement identifiés par le grand public. Intégrés dans de multiples produits comme la console PS Vita ou l’iPad d’Apple depuis sa seconde version, ils ont acquis une certaine notoriété auprès du grand public. Viennent enfin des puces plus récentes comme les Cortex-A7 et les Cortex-A5, moins performantes que les A9 mais proposant une meilleure autonomie ou un meilleur tarif. Chaque puce a donc son usage, son fonctionnement et sa position tarifaire

ARM

Des fausses puces, des performances trompeuses ou des fréquences bidons…

Si chaque licence a un coût, la recherche et développement et les éléments nécessaires à chaque lancement doivent également avoir un impact sur le résultat financier de leur fondeur. Si demain vous vouliez fabriquer une puce ARM, vous devriez acheter une licence, embaucher une petite armée d’ingénieurs, faire vos courses sur le marché des circuits graphiques ou développer le votre et patienter pour que se libère un créneau dans le calendrier d’un fondeur de puce. C’est donc en pratique très compliqué et coûteux mais en théorie parfaitement faisable.

Cela peut être même encore plus simple si vous achetez un « package » comme le font certains, c’est à dire par exemple un Cortex-A9 chez ARM et un circuit graphique MALI chez ARM également. Dans ce cas là, il n’y a qu’a suivre la « recette » fournie par ARM pour proposer un processeur « prêt » à la gravure. Il ne vous restera alors plus qu’à trouver des clients. Cela a l’air simple mais dans ce cas de figure vous n’apportez aucune valeur ajoutée à vos processeurs au contraire des marques comme Nvidia qui utilise son propre système graphique, Qualcomm qui change une partie du cœur de l’ARM et bien d’autres qui proposent leurs propre interprétation de l’offre de base.

Mais cela explique aussi pourquoi de nombreuses marques existent sur le marché de ces puces. Cela explique également pourquoi c’est un véritable capharnaüm.

Depuis plusieurs années, certaines marques de processeurs ARM n’hésitent pas à mélanger tous les éléments qui composent leurs puces afin de gonfler artificiellement les supposées performances de l’engin. On a ainsi vu par exemple de nombreux fabricants additionner les fréquences du processeur Cortex et celui du chipset graphique pour dépasser le gigahertz de fréquence alors que séparés il ne s’agissait que d’un processeur cadencé à 700 MHz avec un circuit graphique à 300 MHz.

Plus récemment des puces estampillées comme 1.5 GHz ou 1.3 Ghz se sont révélées ne jamais fonctionner au delà des 1GHz. Laissant l’acheteur final avec un goût amer à l’utilisation de sa tablette. Le  fait est que beaucoup d’utilisateurs se réfugient derrière ces chiffres qu’ils ont appris à lire avec les générations de processeurs de leurs PC et tombent donc dans le piège tendu par certains fabricants peu scrupuleux.

Actions_ATM70291

D’autre fabricants entretiennent un flou artistique autour de leurs puces. Dernièrement Actions Semi a lancé un processeur ATM7029 quadruple cœur. Présenté en permanence par la marque comme un « Cortex Multi cœur » ou un « Cortex-A9 Family », cette puce laisse planer de gros doutes jamais levés par son fabricant. De plus en plus d’internautes se sont demandés si cette appellation « A9 Family » ne jouait pas simplement le rôle de référence « trompe l’œil » pour cacher ce qui s’avère être finalement un ARM Cortex-A5. Certes de la même famille que le Cortex-A9 mais moins, beaucoup moins performant. Comme si le cousin germain d’Albert Einstein était  forcément capable de parler physique quantique.

Le Cortex-A5 est un processeur effectivement quadruple cœur mais pensé pour les smartphones entrée de gamme, très sobre quand à sa consommation d’énergie, très efficace en décompression vidéo, mais également moins performant qu’un ARM Cortex-A9 en calcul et surtout en 3D dans la version d’Action Semi.

Ces bizarreries ont été pointées du doigt : Résultats médiocres ou inattendus pour un processeur de  ce type, fonctionnalités différentes d’une puce à l’autre et surtout disparition pure et simple d’informations techniques comme le « CPU infos » qui décrit précisément le type de processeur embarqué » après téléchargement de nouveaux firmwares officiels. Une action uniquement possible pour le fabricant qui édite ces éléments et les distribue.

La puce a été annoncée en Octobre 2012 et depuis Action Semi la présente toujours comme  une ARM « Cortex-A9 Family » dans la vidéo ci-dessus filmée il y a quelques jours à la Hong Kong HKTDC Electronics Fair. Cette appellation ne veut absolument rien dire au sens propre mais elle est en plus clairement là pour induire en erreur les clients de la marque.

ARM doit-il tout tolérer de la part de ses clients ?

ARM n’est évidemment pas responsable de ces actions et la majorité des marques jouent le jeu de la transparence et de la qualité avec leurs produits. Mais les quelques brebis égarées qui proposent des produits intentionnellement mal décrits ou maquillés comme d’autres, brouillent trop les pistes pour que la société Anglaise laisse plus longtemps les choses en l’état.

Les dangers sont importants à tous les niveaux pour ARM. A commencer pour l’image même de ces processeurs. L’acheteur final qui prend en main une tablette comportant un processeur qui ne correspondra pas à ses attentes n’aura pas forcément une bonne image de la technologie embarquée. Il pourrait donc se retourner contre elle et choisir une alternative différente. Alors qu’Intel arrive sur le marché des tablettes avec ses Atom et processeurs Haswell dans le futur, alors que des solutions Windows vont bientôt s’inviter dans le jeu des tablettes abordables, il serait plus que temps qu’ARM prenne ses responsabilités vis à vis de ses clients.

Les autres fondeurs de puces proposant des processeur ARM doivent également être pris en compte. Ils ne peuvent évidemment pas lutter avec des marques qui trichent dans leurs présentation de produit et ARM va finir par devoir rendre des comptes. On ne peut pas tolérer très longtemps de voir un concurrent acheter une licence moins chère et la présenter sur marché comme une licence concurrente à ses propres produits.

Enfin, les fabricants de produits qui se retrouvent exposés à des plaintes de leurs clients finaux ne sont guère enchantés de cette situation. En indiquant les spécifications promises par les fabricants de puces, ils trompent sans le savoir leur propre clientèle et doivent en faire les frais en reprenant ensuite les machines expédiées. Action Semi s’est ainsi vu vertement remettre en place par l’administrateur du forum officiel d’Ainol, marque de tablettes qui a intégré cette fameuse puce ATM7029 en la présentant comme une Cortex-A9 et qui a semble t-il découvert le pot au roses en même temps que ses clients.

MWC 2011 ARM

ARM affiche de très beaux résultats ces derniers mois, ses puces se vendent littéralement par milliards. Mais au delà de cette énorme et remarquable croissance, ne serait-il pas le bon moment de consolider ses bases et de mettre un peu d’ordre dans cette jungle de processeurs ? La conception d’une série d’applications permettant précisément l’identification des puces ARM embarquées et de leur circuit graphique pour tous les systèmes d’exploitation serait une excellente chose. A défaut, la création d’une base de données où seraient recensées de manière obligatoire les spécifications exactes des puces signées ARM, à la façon d’un ARK chez Intel, pourrait également solutionner le problème.

En laissant le marché faire n’importe quoi, ARM décrédibilise ses propres produits et se rend complice d’agissements peu scrupuleux de la part de certains de ses partenaires. Une situation très visible qui n’est pas tolérable de la part d’une telle société.


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12 commentaires sur ce sujet.
  • 26 avril 2013 - 13 h 12 min

    Ah oui, ca a du charcler sur le fofo d’Ainol: y’a tellement que des gros mots que c’est tout en hieroglyphes !

    On reconnait quand meme le debut: « hello, my friend. »

    Répondre
  • 26 avril 2013 - 13 h 23 min

    Il manque un détail à cet article: en plus d’une marque déposée, ARM est-elle une société? Qui sont ses actionnaires? Qui est son PDG?

    Répondre
  • 26 avril 2013 - 17 h 09 min

    Hé beh, l’utilisateur final est loin de se douter d’une telle confusion quand il achète une tablette. De quoi se laisser rebuter une nouvelle fois par un achat sur le marché chinois.

    Merci Pierre pour ces éclaircissements, qui doivent demander un sacré travail et une bonne traduction du mandarin !

    Répondre
  • 26 avril 2013 - 17 h 40 min

    @Dliryc: Pour le Chinois, j’avoue, je me suis fait aider.

    Répondre
  • 26 avril 2013 - 19 h 14 min

    Merci :) Je savais que c’était du grand n’importe quoi, mais le coup du cortex A9 Family c’est fort quand même ^^
    C’est vrai qu’on trouve pas facilement de renseignements sur les plateformes un peu exotiques : je me rappelle en particulier avoir voulu un jour quand la Tizzbird N1 a été annoncée me renseigner un peu sur ce qu’était le cortex A5 et ce qu’on pouvait en attendre d’une part, et sur la plateforme précisément et surtout la partie graphique elle embarquait, ben j’ai pas été déçue du voyage, ça m’a bien vaccinée. Depuis j’ai des loisirs plus sains.

    Du coup Ainol et moi on est au moins 2 à plussoyer pour la fin, à défaut de mieux une base de données des cpu/gpu/plateformes complètes serait déjà très sain dans ce méga-bronx

    ps : merci pour la correction orthographique, c’est super agréable :)

    Répondre
  • 27 avril 2013 - 5 h 35 min

    C’est même bien plus compliqué que ça en raison de l’extrême modularité des designs ARM, pour un même core certaines parties sont optionnelles, on le voit très bien sur la page du Cortex A9 pour NEON:
    http://www.arm.com/products/processors/cortex-a/cortex-a9.php
    Or on trouve pas mal de code optimisé en assembleur pour NEON dans le but d’accélérer des sections critiques. Un Cortex A9 sans NEON (comme le Tegra2) ne joue pas tout-à-fait dans la même classe qu’un Cortex A9 avec NEON.

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  • PJL
    27 avril 2013 - 10 h 02 min
  • 27 avril 2013 - 19 h 20 min

    ARM fait du business, donc plus ils vendent de licences, plus ils sont contents et c’est tout. Je ne vois pas en quoi ils sont responsables des agissements marketing des sociétés qui leur achètent des licences. Cet article est clairement un point de vue du côté du client final, et je ne vois pas en quoi le client final, s’il se trouve berné, pourrait accuser ARM de quoi que ce soit. Je ne suis pas du tout convaincu par les arguments de cet article. De plus, dans cet article, le client tend à être déresponsabilisé, du style c’est pas de sa faute s’il croyait que c’était du A9 alors que c’était du A5. Faut se renseigner avant d’acheter, et c’est là où, par exemple, intervient Minimachines. Les stratégies marketing trompeuses ne datent pas d’aujourd’hui, il suffit de prendre l’exemple pas si vieux du fameux « HD Ready »…

    Répondre
  • 27 avril 2013 - 19 h 39 min

    @Bertrand: Sauf qu’une société qui vend un produit licencé n’est a priori pas autorisée à dire que son produit A est un produit X. Si j’achète des pneus de marque entrée de gamme et que je dis au client que ce sont des pneus haut de gamme ou de la même famille que le haut de gamme, je doute que la marque de pneu voie ça d’un très bon oeil. Pourquoi ARM ne réagit pas alors que certains se permettent de vendre des Cortex A5 comme des Cortex A9 ? C’est pas sa responsabilité de le faire ?

    Ben alors si c’est la responsabilité de personne, pourquoi se gêner ?

    Je n’ai pas accusé ARM de quoi que ce soit, je dis juste qu’il serait peut être opportun de faire le tri dans les produits des clients afin que l’acheteur, le client final comme le revendeur ou même le fabricant ici, ne prenne pas un produit pour un autre.

    Comment tu fait pour savoir que ton produit est du A5 alors que c’est écrit nulle part ? Responsabiliser le client c’est bien mais il faut avoir de quoi le faire. Comment faire ? J’ai du me faire traduire des pages en Chinois pour comprendre le probleme, lire des tonnes de documentation technique en Anglais et suivre des forums obscurs pendant des heures… Le client lui il a une étiquette sur sa boiter qui écrit « Cortex-A9 ».

    Si tu as lu ce papier tu auras lu qu’une de mes demandes consiste juste a un état des lieux de la part d’ARM sur le contenu exact des puces embarquées, justement pour que le client sache ce qu’il achète. En attendant je vois pas comment responsabiliser un acheteur final, il aura beau fouiller, a moins d’avoir des heures devant lui et des compétences linguistiques importantes, il ne s’en sortira pas.

    Répondre
  • 28 avril 2013 - 16 h 26 min

    J’avais bien lu tout ton article avant de poster, et j’ai bien compris l’intention (louable) que tu suggères, mais comme je te le redis, ARM doit se contrefoutre totalement des agissements marketing peu scrupuleux d’une sous marque chinoise à 2 balles. Le seul truc qu’ils veulent, c’est que la boite qui utilise la marque déposée « Cortex Ax » ait la licence, point barre. C’est quand même pas un chinois, qui ne va certainement vendre sa tablette qu’au marché domestique chinois, qui va ternir l’image de marque de ARM, qui en plus n’y est pour rien. De plus, tu le dis toi même, tu as du galérer pour trouver les infos car justement, personne à l’international n’est supposé acheter ce produit, donc l’impact restera cantonné au seul marché chinois, où on en voit déjà des vertes et des pas mures. Faut quand même pas me faire croire que c’est un scandale qu’une marque chinoise agisse de la sorte. Sinon tu aurais bien d’autres raisons de t’offusquer! Et puis je te rappelle que dans ton article, tu dis bien que la société précise « Cortex A9 Family » et pas seulement « Cortex A9 », ce qui dans l’absolu doit être vrai, même si c’est trompeur. Ce n’est que mon avis.

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  • 28 avril 2013 - 17 h 30 min

    @Bertrand: Je comprends bien ton point de vue, mais justement, avant que cela ne dérive trop, et parce que certains importent désormais en France moult tablettes Chinoises au travers d’une marque internationale, il serait a mon sens utile de faire un peu la police.

    Si tu regardes le reportage tu verras le doublediscours flagrant de la marque : C’est bien écrit Cortex-A9 family sur le papier mais à l’oral on oublie le « Family ».

    Ok ARM n’y est pour rien mais j’espère que ce sera une question abordée un jour ou l’autre entre Action Semi et ARM… Parce que Action n’est paa seul sur le marché chinois et je vois pas pourquoi RockChip ou Allwinner seraient désavantagées face à Actions qui joue « sale ».

    Mon avis perso c’est pas qu’ARM est responsable des agissements a posteriori de ces marques mais qu’il a intérêt a taper du point sur la table pour ne pas voir ses puces galvaudées par des gens sans trop de scrupules. Ni ses bons clients regretter de jouer franc jeu.

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  • 14 janvier 2015 - 9 h 27 min

    […] Semiconductor si vous en souvenez, c’est cette marque qui proposait en 2013 des puces ARM Cortex A5 sous l’appellation tendancieuse ARM Cortex-A9 Fa…. Un moyen de faire passer l’entrée de gamme pour le haut de gamme de l’époque et un […]

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