Intel Foundry : une renaissance complète du service

Lorsque Pat Gelsinger a repris les rennes* d’Intel en 2021, il promettait d’énormes bouleversements : Intel Foundry est l’un d’eux.

Intel Foundry, c’est le nouveau nom de l’IFS, l’Intel Foundry Service. L’offre de gravure de microprocesseurs de la marque. Derrière cette entité se cache un jeu de domino enclenché depuis 2021, date à laquelle Intel a retrouvé un véritable stratège.

L’arrivé de Gelsinger a été un tournant pour Intel. Parce que au moment de son retour la majorité des analystes spécialisés dans le secteur des semi conducteurs encourageaient Intel a revendre son activité de fabrication de puces1 pour se concentrer sur leur développement. Un modèle qu’avait choisi AMD des années auparavant, en 2009, en revendant ce qui allait devenir GlobalFoundries. Le N°2 mondial de la gravure de processeurs derrière TSMC.

Intel n’a pas choisi cette voie et a décidé au contraire de mettre l’accent sur le développement de ses usines en changeant son approche. De fondeur exclusif des processeurs maison, l’idée a été de s’ouvrir à d’autres fabricants. Ainsi est né l’Intel Foudry Services avec la volonté de fabriquer des puces pour des tiers. Ce premier choix, ce premier domino devait en enclencher beaucoup d’autres. A commencer par des investissements colossaux dans de nouvelles technologies de gravure.

On se souvient d’un Intel faisant du sur-place dans les années 2010, la marque avait abandonné son rythme « tick-tock » en 2016 en expliquant vouloir travailler plus longtemps l’optimisation de ses processeurs plutôt que de changer d’architecture régulièrement. Un choix qui lui sera reproché par le grand public qui redécouvrira au passages l’existence d’un AMD volontaire et agressif avec des gammes Ryzen faisant largement oublier les mauvaises années Athlon. Pour revitaliser son offre Intel a du mettre les bouchées doubles. Ressusciter son processus Tick-Tock par exemple et, au lieu de revendre son activité de gravure, a donc décidé d’investir en masse dans ce segment.

La promesse d’Intel ? Le 5N4Y.

5 Nœuds en 4 Ans. Il faut comprendre ce code pour ce qu’il est réellement. Ces « noeuds » sont des avancées en terme de gravure. Des évolutions de finesse mais également des bouleversements techniques importants. En 2021 Intel accusait un retard important en terme de finesse de gravure et promettait donc de le rattraper avec un plan ambitieux de développement. Plan qui est aujourd’hui sur les rails et assez impressionnant avec des promesses tenues. En 2024 le fondeur devrait offrir son Intel 20A et annonce que son 18A est également sur de bons rails pour prendre la suite. Cette avancée rapide n’est pas illogique ou surprenante, elle rattrape le retard accumulé auparavant quand Intel piétinait sur des finesses de plus en plus éloignée de ce que proposait un graveur concurrent comme TSMC. Les 14 et 10 nanomètres notamment ont été largement exploités sur les processeurs Core.

Au delà de cette finesse, de nombreuses évolutions techniques sont en marche. Si l’Intel 4 est déjà disponible sur le marché et si l’Intel 3 semble mûr, le plus impressionnant vient des fonctions annoncées autour de ces finesses.

Pour séduire, l’Intel Foundry propose un calendrier encore plus ambitieux et surtout une ouverture de tout son savoir faire aux autres marques. La promesse d’une innovation qui va se poursuivre avec la mise en place de technologies avancées avec, pour certaines d’entre elles, de l’avance sur les concurrents.

Mais surtout, Intel Foundry change radicalement de philosophie en proposant un service complet autour de ses nombreux savoir faire. L’ensemble de ses services sera ouvert aux autres marques, même concurrentes. Besoin de tester un processeur ? De réaliser des samples ? De fabriquer des puces avec les dernières technologies d’Intel ? Tout sera possible. L’idée n’est plus de seulement fabriquer des puces grâce  à des machines et un savoir faire mais d’accompagner les marques dans toutes les étapes de la conception à la production de celles-ci. Des partenariats avec plusieurs universités américaines en Californie et au Michigan permettra aux étudiants de comprendre et de piloter la technologie Intel 18A. De futurs ingénieurs quitteront donc l’université diplôme en poche avec une maitrise des outils de l’IFS.

L’écosystème complet sera à la disposition des autres concepteurs de puces qui n’ont pas d’usines de production en propre. L’assemblage des produits finis sera également possible et non plus juste la gravure des wafers. Ces galettes de silicium qui nécessitent ensuite l’imbrication des circuits sur un support. En d’autres termes on pourra demander à Intel Foundry de produire des puces de A à Z qu’on n’aura plus qu’à mettre en boite ou à souder sur un circuit imprimé. Tout comme on pourra uniquement demander l’assemblage de composants tiers ou la gravure d’un élément.

Et cette offre est ouverte à tous : Microsoft et ARM ont déjà indiqué vouloir faire fabriquer des SoC chez Intel Foundry mais les portes sont ouvertes pour Qualcomm, Nvidia et même… AMD. En se positionnant ainsi, l’offre vient concurrencer directement ce que proposent des acteurs comme TSMC, GlobalFoundries ou encore Samsung.

 

Les premières architectures Intel 18A en approche

Pour marquer le coup, Intel annonce sa première production sous sa technologie 18A avec Clearwater Forest. Une puce pas vraiment grand public puisqu’il s’agit d’un processeur Xeon. Mais un processus de fabrication qui démontre l’efficacité des capacités des usines d’Intel. La puce rassemble en effet de nombreux éléments novateurs. Elle emploie l’Intel 3 pour son DIE, l’EMIB et la technologie Foveros Direct. C’est la marque de la bonne voie du premier processeur grand public en Intel 18A que sera Panther Lake en 2025.

C’est l’objectif du 18A de permettre au fondeur de redevenir le leader en terme d’avancées techniques. Pour le moment on reste sur une production de masse en Meteor Lake et donc en Intel 4. L’Intel 3 qui sert à la fabrication du DIE de base de Clearwater Forest n’est pas employé dans un processeur grand public même si il serait déployable dans des volumes plus importants selon le fondeur. Reste à savoir si la feuille de route de la marque pourra être réellement tenue comme annoncée. Si Intel a toujours spécifié que son objectif 5N4Y ne concernait que des étapes internes de production et non pas la fourniture de produits finis en masse, il y a toujours des risques d’une distance diplomatique entre les annonces et la réalité.

Comprenez qu’il serait du plus mauvais effet pour la stratégie actuelle de Geslinger d’annoncer un retard sur ses nœuds de production. Promettre que tout va bien et que le calendrier de développement interne est parfait reste plus confortable que de sortir des produits. Même si pour l’année 2023 pas moins de deux générations de processeurs ont été proposées. Le fait que Microsoft ait signé un partenariat avec Intel pour développer une puce 18A est un bon indice du développement de la technologie. On se doute que Microsoft n’aurait pas signé – et engagé des fonds – sur une simple promesse. Idem pour ARM qui a annoncé et suivi les efforts de la marque depuis avril 2023.

Intel EMIB

Aure point clé, la signature de partenariat avec de nombreux architectes du silicium. On retrouve des noms prestigieux associés aux services de l’Intel Foundry. Des marques comme Ansys, Siemens, Synopsys, Cadence ou Keysight qui vont travailler avec des outils mis en place par Intel pour profiter de ses nouvelles technologies comme l’EMIB. Cette solution qui permet de construire des puces plus efficacement à partir de différents éléments. Pour ces marques, l’EMIB est la promesse d’un développement plus rapide et plus souple que les technologies classiques.

On retrouve également une myriade de marques spécialisées qui pourront profiter des services de l’Intel Foundry pour proposer des éléments techniques très spécifiques. On peut considérer cela comme un assemblage de plusieurs composants différents, comme un microscopique puzzle. Si une marque développe un élément de sécurité qu’un client final veut absolument obtenir pour ses matériels, Intel ne sera pas en mesure de le remplacer par un composant maison mais pourra tout à fait l’implémenter sur une puce dans ses usines. Beaucoup de ces éléments sont des points clés pour pouvoir répondre à des appels d’offres précis et le fait de les intégrer à son catalogue de partenaires est un énorme avantage pour le service. Intel pourra même proposer ses propres puces comme des éléments a intégrer dans d’autres productions. Un autre point capital de cette offre à mon sens car un industriel qui aurait besoin d’un processeur hyper spécifique pourrait choisir d’assembler un élément de sécurité X avec une mémoire Y, un microcontrôleur Z et un cœur Intel dans un seul et même « SoC » final.

Qu’est-ce que ça change pour le grand public ?

C’est la question que l’on me pose en général en commentaire ou dans la vraie vie. Intel Foundry c’est super mais ça change quoi pour nous ? La réponse est assez évidente. Plus Intel trouvera de partenaires pour  son service de fondeur, moins le coût de développement – un coût totalement astronomique qui se chiffre en dizaines de milliards de dollars – sera reporté sur la seule production d’Intel. Et donc sur les processeurs vendus à tout le monde. Le prix de la course à l’innovation voulue par Intel sera également épongée en partie par ces clients professionnels. Si Microsoft signe une production de masse de puces Intel 18A, il paye de son côté une part des frais de développement de celle-ci. 

La qualité globale des puces et la possibilité de voir la feuille de route d’Intel être tenue est également clairement impactée par le développement de ce service. Plus il sera populaire auprès de différents acteurs, plus les investissements seront rapides et massifs. Plus la rentabilité de ceux-ci sera grande et le prix des technologies baissera. 

Le fait d’avoir également un concurrent à TSMC sur les puces haut de gamme a également un intérêt concurrentiel et, beaucoup plus prosaïquement, de calendrier. Les prévisions de production de TSMC sont telles qu’il faut parfois attendre plusieurs trimestres pour bénéficier de certaines de ses technologies… Ou alors s’engager au prix fort sur des volumes très importants. L’arrivée d’un acteur concurrent pourrait avoir des effets positifs sur ce calendrier mais aussi sur le coût de ces gravures spécifiques.

*C’est une Private Joke.

Notes :

  1. A qui ? Mystère…

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8 commentaires sur ce sujet.
  • 22 février 2024 - 22 h 45 min

    Merci pour cet article très instructif.

    Répondre
  • gUI
    23 février 2024 - 8 h 14 min

    Pour avoir bossé chez Intel pendant 6 ou 7 ans, je trouve qu’on n’explique pas assez la culture industrielle de Intel. C’est pas une startup 2.0 bling bling, c’est vraiment de l’industriel qui est là pour fabriquer et vendre du silicium. Dans les couloirs ça parle usines et prototypes, et pas Java vs PHP.

    Intel c’est une entreprises des années 70-80 avec les inconvénients (lenteur de changement) et les avantages (c’est pas près de partir en fumée !).

    Je ne dis pas du tout que les concurrents sont différents (et à ce niveau de technologie je pense qu’il n’y a pas la place pour des enfumeurs), mais de loin dans la tech, on a presque tendance à mélanger hard et soft dans le même _mindset_, ce qui ne pourrait être plus faux.

    Merci Pierre pour cet article qui remet l’église au milieu du village :)

    Répondre
  • 23 février 2024 - 11 h 48 min

    @gUI et @Zeratool: A vrai dire, chers camarades, j’avais dit à Intel que je ne couvrirais pas cet évènement car on est quand même assez loin de ma ligne édito. Et puis, oui, je me disais qu’il fallait quand même faire le point. D’abord parce que la presse info plus généraliste s’est mise a titrer que sur les chiffres des partenariats entre Intel Foundry et ses nouveaux partenaires (de manière plus ou moins bien correcte d’ailleurs) mais pas sur les technologies ni les enjeux. Alors bon, tant pis, je me suis fendu d’un billet.

    Et ben vous savez quoi, ça me fait plaisir d’avoir un petit « merci » :)

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  • SGT
    23 février 2024 - 12 h 30 min

    Je plussoie également, merci pour cet excellent article

    Au passage dommage qu’en Europe il n’y ait pas de projet commun

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  • hle
    23 février 2024 - 14 h 53 min

    un GROS merci pour l’article et le site en général.

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  • 23 février 2024 - 17 h 51 min

    Merci Pierre!
    Toujours de bonne synthèses, informations claires et précises, c’est toujours un plaisir de te lire.

    Répondre
  • JB
    23 février 2024 - 20 h 13 min

    Un article utile et apprécié, je confirme !
    Le côté industriel aide à comprendre ce qui existe et ce qui vient, ça n’est pas rien !

    Merci pour tout le super boulot et pour ta ligne éditoriale libre et indépendante qui est précieuse et éclairante depuis les tout débuts de Blogeee.

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  • 26 février 2024 - 9 h 17 min

    le fait que intel propose plus que juste de la fonderie est signe qu’ils ont bien compris la demande des clients.
    Il est actuellement très dur de faire biller ses puces, de faire faire des boitiers, hors gros volume. les acteurs historique du billage et fabrication de boitier on grossi/fermés, et ils ne prennent plus les commandes de moins de 1000 puces/jours. pour une pme française qui fait de la petite série mais qui a besoin des dernières technologie ça devient super dur.

    Tsmc propose le billage et mise en boitier, intel sera donc au meme niveau. coté ST c’est compliqué, toute les options de billage ne sont pas disponibles, xfab propose rien, tower jazz rien de récent.

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